Autour du Mythe de la Parfaite Première Fois
By Sonya Ben Yahmed
La première fois que j’ai fait l’amour a été horrible. Une expérience très douloureuse qui avait commencé par des chuchotements et finit par des cris... de douleur intense. D’ailleurs ça n’a été qu’une fois inachevée, parmi une série d’essais espacés dans le temps, durant lesquels on essayait, à deux, d’éliminer cette barrière qui se posait entre la jouissance et nous, une série d’essais stoppée systématiquement par ma peur de la douleur déjà ressentie et par la douleur. C’est dur de connaître sa libido à un âge relativement tardif et de se heurter à une réalité qui n’a rien à voir avec ce qu’on voit dans les films et lit dans les livres.
Oui ça m’a fait mal, très mal et non, ce n’est pas l’expérience de rêve que je raconterai à ma fille, le cœur gros et les yeux humides par la beauté des souvenirs et l’exaltation du moment ! J’en veux beaucoup à cette machine qui nous trompe et nous donne de fausses attentes. J’en veux au cinéma où les scènes de la première nuit représentent une jeune fille qui soupire dans les bras de son bien-aimé, rangée par la fièvre de l’amour mais très peu par la brûlure d’une blessure réelle dans une zone sensible de son corps. Quant aux Arlequin et compagnie, il serait inutile d’en parler tellement ils ont perpétué des mensonges mythiques autour de cette expérience!
La vérité est que ce faux romantisme de cette parfaite première fois joue un rôle très important dans la société, de part son aspect rassurant. En effet, une longue abstinence vaut la peine d’être vécue lorsqu’à la fin, elle est couronnée par un si beau cadeau ! Par conséquent, elle a un grand public et est très rentable. Elle rassure, réconforte et donne beaucoup d’attentes, aussi bien aux filles qu’aux garçons. Et pour ça, tous s’y mettent ! Le septième art a longtemps sacralisé et embelli ce sujet et continue de le faire. Des grandes icônes à l’instar de Bernardo Bertolucci (dans Stealing beauty et The dreamers) et Federico Fellini (dans Le Casanova de Fellini), aux petits et célèbres réalisateurs de films purement commerciaux, à pratiquement tous les classiques de la littérature.
Je ne veux pas généraliser ni m’acharner à cause d’une expérience personnelle « pas très réjouissante », dirait-on. Je sais qu’il y a différents types d’hymens, que des filles ont plus mal que d’autres, mais ce qui me révolte c’est qu’on ne voit jamais celles qui ont des réactions moins réjouissantes, qu’on leur donne des attentes pas toujours réelles, qu’on les élimine du champs de vision : qu’on fasse tout pour qu’elles aient des premières fois horribles, comme moi, surtout si l’on vit dans des pays où la sexualité est un tabou et où la seule source d’information est les œuvres artistiques et littéraire.
A qui vend-t-on ces scènes, ces passages dévorés, le cœur battant, ces mythes de la perfection? Aux hommes en premier lieu, bien sûr. Ce sont ceux qui donneraient du plaisir à leurs campagnes et ce dès le premier soir ! Que ça saigne, ce n’est pas grave, elles soupirent quand-même, elles sourient, elles crient même de jouissance… et s’il y’en a une qui réagit autrement, « ben le problème est en elle » car toutes les autres (les stars dans les films, les personnages dans les romans…) sont épanouies et comblées dès leur première fois et elles l’affichent. Mission accomplie, virilité plus qu’affirmée !
Il n’est alors pas étonnant que ces films soient généralement faits par des hommes. Il est vrai que les femmes ont été pendant longtemps très peu présentes au septième art, comme dans beaucoup d’autres domaines, en tant que productrices et chefs d’œuvres (réalisatrices), mais il existe depuis des décennies des femmes cinéastes, dont certaines ont abordé ce même thème mais différemment. C’est plutôt sur la souffrance psychologique générée par des facteurs sociaux, que ces cinéastes se sont le plus penchées. Des femmes déçues leur première nuit car le partenaire (la plupart du temps le mari) s’est montré violent et impatient, ou suite à un mariage arrangé, ou encore un viol, conjugal ou non, un inceste... Ce sur quoi elles mettent l’accent dans leurs films, c’est plutôt le côté sentimental imprégné par des facteurs sociaux difficiles qui ne touchent pas directement la première fois mais qui se matérialisent ce soir-là (ça se passe généralement le soir). Les exemples de films sont nombreux, j’en cite : « La saison des hommes » de Moufida Tlatli, « L’étrangère » de Feo Aladag, « Monsoon wedding » de Mira Nair…, des films de cinéastes de pays et cultures différents.
Autre point suscitant révolte et indignation, car longtemps déformé et très mal traité par la pellicule et l’encre : le sang. Ce symbole de pureté et de chasteté, cette preuve qui sauve la vie à beaucoup de filles dans certaines sociétés comme la nôtre, dans lesquelles l’honneur est très lié au corps de la femme, faut-il toujours en voir une quantité énorme, quelque chose qui ressemblerait plutôt à une boucherie ?? Suis-je la seule à en avoir versé très peu ? Après tant de douleur et de torture, ce ne sont même pas des gouttes que j’ai versées mais une sorte de peau fine, plutôt marron que rouge, qui est venue longtemps après le premier essai. Rien de plus ! Pas de drap à moitié tacheté, ni un entrejambes lavé par du rouge, ni même vraiment du rouge ! Plus tard, j’ai dû essayer plusieurs fois dans le simple but d’être sûre que c’était vraiment fait, que j’ai bel et bien été « dépucelée » puisque je m’attendais à une perte beaucoup plus notable.
La virginité étant une fatalité et un tabou dans nos sociétés, et quelque chose de magique dans pratiquement toutes les sociétés, le choc que vivent les filles lors de leur première fois est très répandu et ouvre la voie à des complexes et des mensonges multiples, surtout que les garçons aussi sont dupés dans cette histoire et sont préparés à avoir de fausses attentes à cause du mythe suprême de la première fois qu’a crée la machine commerciale conservatrice fondée sur le patriarcat.
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About the Author
Sonya Ben Yahmed has been an activist in different areas of Tunisian civil society for many years. She is dedicated to social and human rights issues in general, and gender rights more specifically. She has been fighting for equality through l'Association Tunisienne des Femmes Democrates (ATFD) since 2007, where she is currently the national coordinator of the Information & Communication Commission and a member of the Sexual & Reproductive Rights Commission. Sonya is also a teacher, a journalist and a cyber activist who writes about politics and human rights issues. This piece was originally published in Rue 89.